C’ETAIT ça, la petite ligne mystérieuse, c’était l’enregistrement du signal envoyé par cet émetteur qui fonctionnait, selon toute logique, depuis plus de 900 000 ans... C’était trop énorme à avaler, ça dépassait l’histoire et la préhistoire, ça démolissait tous les crédos scientifiques, ce n’était plus à l’échelle de ce que ces hommes savaient. Le seul qui acceptât l’événement avec placidité, c’était évidemment Brivaux. Le seul qui fût né et eût été élevé à la campagne. Les autres, dans les villes, avaient grandi au milieu du provisoire, de l’éphémère, de ce qui se construit, brûle, s’écroule, change, se détruit. Lui, au voisinage des roches alpines, avait appris à compter grand et à envisager la durée.
— Ils vont tous nous prendre pour des fous, dit Grey.
Il appela la base par radio et demanda l’hélicoptère pour ramener le groupe, d’urgence.
Mais il avait oublié la rougeole. Le dernier pilote disponible venait de se coucher.
— Y a André qui va mieux, dit le radio de la base, dans trois ou quatre jours on pourra vous l’envoyer. Mais pourquoi voulez-vous rentrer ? Qu’est-ce qui se passe ? Y a le feu à la banquise ?
Grey coupa. Cette plaisanterie stupide avait un peu trop servi.
Dix minutes plus tard, le chef de la base, Pontailler lui-même, rappelait, très inquiet. Il voulait savoir pourquoi la mission voulait rentrer. Grey le rassura, mais refusa de lui dire quoi que ce fût.
— Il ne suffit pas que je te le dise, il faut que je te le montre, dit-il. Sans quoi, tu penseras que nous sommes tous tombés sur la tête. Envoie-nous chercher dès que tu pourras.
Et il raccrocha.
Quand l’hélicoptère arriva au point 612, cinq jours plus tard, Pontailler était dedans, et fut le premier à sauter à terre.
Les hommes de Grey avaient passé ces cinq jours-là dans une excitation et une joie croissantes. Finie la stupeur due au premier choc, ils avaient accepté les ruines, accepté l’émetteur, les avaient faits leurs. Leur mystère même et leur invraisemblance les exaltaient comme des enfants qui entrent dans une forêt où des fées existent vraiment. Ils avaient accumulé les relevés et les enregistrements. Bernard, sur les coordonnées fournies par les appareils, travaillait à une sorte de plan cavalier, plein de « manques » et de parties blanches, mais qui prenait déjà l’allure d’un paysage fantastique, minéral, désert, brise, inconnu, mais humain.
Brivaux avait trafiqué un magnétophone et l’avait accouplé à l’enregistreur du nouveau sondeur. Il obtint une bande magnétique qu’il convia ses camarades à écouter. Ils n’entendirent rien, puis rien, et encore rien.
— Y a des clous, sur ton bidule ! grogna Eloi...
Brivaux sourit.
— Tout est dans le silence, dit-il. Vous ne pouvez pas entendre les ultra-sons. Mais ils sont là, je vous le garantis. Pour les entendre, il faudrait un réducteur de fréquence. Je n’en ai pas. Y en a pas à la base. Il faudra aller à Paris.
Il faudra aller à Paris. Ce fut également la conclusion de Pontailler quand il eut été mis au courant, qu’il eut refusé puis accepté enfin l’évidence de la découverte. On ne pouvait même pas parler de ça par radio, avec toutes les oreilles du monde qui écoutent jour et nuit les secrets et les bavardages. Il fallait porter tous les documents au siège à Paris. Le chef des Expéditions Polaires déciderait de les communiquer à qui ou qui. En attendant, chacun devait se taire. Comme disait Eloi, « ça risquait d’être quelque chose de fumant ».